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Sin La Habana: entrevue avec Kaveh Nabatian

Jeudi, 9 septembre 2021

Sin La Habana sort en salle aujourd’hui dans quelques villes au Québec, grâce au distributeur Maison 4:3 (trouver les horaires dans votre région). Nous avons rencontré le réalisateur Kaveh Nabatian pour en savoir plus sur la conception de ce drame intimiste relatant l’histoire d’une Montréalaise d’origine iranienne qui tombe amoureuse d’un danseur de ballet à La Havane et qui accepte quelques semaines plus tard de le parrainer pour faciliter son entrée au Canada.

Parlez-nous de la genèse de ce film dont la prémisse remonte à plus de quinze ans déjà.

J’ai été souvent à Cuba pour différents projets. À plusieurs reprises, j’ai vu des étrangers de cinquante ans en compagnie d’un beau garçon ou d’une jolie fille de vingt ans. Immédiatement, on porte un jugement. On constate ça partout, dans les pays en voie de développement, mais c’est particulièrement palpable à Cuba, où l’exotisme est très présent. Donc, moi aussi, j’avais une idée sur ce genre de couples. Mais au fil du temps, je me suis rendu compte que ces personnes ont chacune un arrière-plan spécifique qui explique leur comportement. Il y a une raison sur le besoin de quitter le pays. Ce n’est pas juste pour du cash ou un passeport.

Je voulais faire un film traitant d’un milieu que l’on voit peu dans le cinéma québécois

Mon histoire est celle d’une femme québécoise d’origine iranienne qui veut tout lâcher en faisant venir un Cubain. Oui, il y a une question de solitude, mais il y a d’autres motivations. Partant de ça, j’ai parlé à des gens de ce sujet et je me suis mis à l’observer d’un peu plus près. En parallèle, je jouais avec un producteur de hip-hop cubain, Pablo Herrera, qui est également un très grand cinéphile. Il souhaitait vraiment s’impliquer dans un film qui aborde la société et de la culture afro-cubaine de façon honnête. Souvent dans le cinéma étranger Cuba est présenté sous des airs exotiques. Même dans le cinéma cubain il est rare de trouver des films qui mettent bien en valeur les histoires des Afro-Cubains. On s’est donc associé et on a écrit le film ensemble. Et maintenant quand les Cubains le voient, ils se reconnaissent. Et ça, c’est quelque chose dont je suis assez fier.

Sin La Habana a été en partie filmé à Cuba. Comment s’est déroulé votre tournage là-bas?

Ça a été super! J’adore tourner à Cuba. C’est le genre de place où tout est compliqué, mais dès que tu te mets à filmer, tout devient immédiatement très beau. Il y a tellement de vibe dans ce pays, qu’on a réussi à capturer facilement toute l’énergie que je voulais faire passer. Tous les films doivent passer par l’Institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques (ICAIC), qui est un bureau du gouvernement. Nous avions une équipe québécoise de dix-quinze personnes, secondées par une équipe locale. Il y avait une personne de l’ICAIC qui nous aidait à trouver les lieux de tournage et nous avons fait le casting dans les bureaux de l’ICAIC. Ce n’est pas une coproduction officielle parce qu’ils ne nous ont pas donné de financement, mais les Cubains étaient très impliqués dans le projet.

Pour le rôle de Léonardo, il vous fallait un danseur qui est aussi acteur, ce qui a dû compliquer votre processus de recherches. Comment avez-vous découvert Yonah Acosta?

Je voulais vraiment travailler dans le monde du ballet. Il y a tellement d’arts vivants à Cuba que j’aurais pu prendre un poète ou un musicien. Mais la danse apporte un élément visuel que je voulais vraiment mettre de l’avant. De plus, je crois que les spectateurs ne savent pas à quel point le ballet cubain est avancé. En raison de ses origines russes, l’école de ballet cubaine est l’une des meilleures au monde. Ceci dit, pour trouver un acteur noir qui est aussi un excellent danseur, il n’y avait pas beaucoup de choix. En fait, il y en avait à Cuba, mais les compagnies de danse dans lesquelles ils travaillent ne souhaitaient pas les laisser partir [la moitié du tournage s’est effectuée à Montréal, NDLR]. Donc, impossible d’avoir des visas. Car, en tournant avec moi, ils auraient raté une grande partie de la saison, ce qui aurait mis en danger leur carrière. C’est hyper sérieux la danse à Cuba! Yonah, c’est le danseur principal du ballet de Munich. Avant il était avec le English National Ballet à Londres. Il est aussi le neveu du plus grand danseur de ballet cubain, Carlos Acosta. Yonah avait un atout : il avait déjà connu l’exil. La thématique du film collait assez bien à son expérience. Nous nous sommes rencontrés à Munich pour faire un genre de casting dans un Starbucks… Il a beaucoup travaillé pour pouvoir obtenir le ton juste et au final, il est devenu un très bon acteur. On a fait des petits ajustements au scénario pour que mon personnage corresponde plus à ce qu’il était en réalité qu’à la vision que je m’en faisais.

Il fallait aussi qu’il trouve l’osmose avec sa partenaire de jeu Evelyn O'Farrill.

Evelyn avait un peu plus d’expérience de jeu. C’est une bombe! Elle a tellement d’énergie! La seule petite difficulté, c’est qu’elle mesure 6 pieds 1 et que Yonah mesure 5 pieds 8, donc il a fallu vraiment être spécifique sur les angles de prise de vues, et parfois, on a dû utiliser une boîte à pommes pour que ça ne paraisse pas trop… (rires). Le fait que les deux acteurs soient cubains, cela introduit automatiquement une notion de sensualité. Donc la distance entre eux n’était pas si grande. Avec Aki [Yaghoubi, qui interprété le rôle de Nasim, NDLR], c’était un peu plus tough pour trouver la chimie, mais cela prend tout son sens dans le film puisque, même si elle a une idée de qui il est, elle le voit surtout comme l’homme exotique cubain typique. Pour lui aussi, d’une certaine façon elle représente un passeport pour sortir du pays. Au fur et à mesure du film, il commence à y avoir, si ce n’est pas de l’amour, au moins de l’amitié. Et c’était un peu ça dans leur relation sur le plateau. Ils ne se comprenaient pas trop au début, mais à la fin du tournage, ils avaient développé une vraie complicité. Au niveau du scénario, j’ai fait des modifications pour que le personnage soit proche de Aki. Le processus de casting a fait en sorte que je me suis rapproché des acteurs, plutôt que d’essayer de les forcer à entrer dans un rôle qui soit trop éloigné d’eux.

Vous menez de front deux carrières distinctes en musique et en cinéma. On voit que les deux se répondent et s'entretiennent mutuellement. Avez-vous l'intention de continuer dans cette voie?

Je ne pense pas vraiment avoir d’autres choix… C’est comme ça que je suis. Certains disent que la musique que je fais est très cinématographique et, de l’autre côté, je mets beaucoup de musique dans mes films. Il y a quelque chose qui se passe entre la puissance du cinéma pour conter des histoires et écrire un monde total, et l’immédiateté de la musique qui nous permet de penser à une idée et l’exprimer au même moment. Alors qu’au cinéma, quand on a une idée, on l’exprime cinq ans plus tard! Les deux arts sont des sculptures du temps. Il y a des choses qui m’excitent dans ces deux formes d’expression.

Signalons enfin que le cinéaste, qui vient de terminer un documentaire tourné en Haïti, sera avec le Bell Orchestre en compagnie de l’OSM à la fin du mois de novembre.

 

Entrevue réalisée par Charles-Henri Ramond, le 6 septembre 2021, à Montréal

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