Hygiène sociale: marivaudage bucolique
Vendredi, 14 mai 2021
Le cinéaste Denis Côté présente nous parle d’Hygiène sociale, son treizième long métrage que nous avons eu le plaisir de vous présenter en première québécoise lors des derniers RVQC. Le film prend l’affiche dans quelques cinémas de la Province aujourd’hui, vendredi 14 mai (voir les horaires). Nous nous sommes entretenus avec le cinéaste pour obtenir quelques explications sur ce projet atypique, à la fois drôle et réflexif, qui rappelle étrangement les conditions de distanciation physique auxquelles nous faisons face actuellement.
Dans un premier temps, il est intéressant de revenir sur l’origine de ce projet, qui a été conçu bien avant la pandémie?
C’est assez étrange… Je ne sais pas à quel point on peut appeler ça un film de pandémie, parce que ce n’en est pas un du tout, mais au final, on dirait que ça m’arrange un peu qu’il sorte maintenant, comme si il se faisait rattraper par quelque chose. Mais oui, à l’origine le film s’appelait Hygiène sociale. Je l’ai écrit en 2015 à Sarajevo. Je l’ai imaginé avec des gens qui faisaient des monologues dans des grands champs, qui se criaient des trucs intimes par la tête à trois ou quatre mètres de distance. Donc, évidemment je ne pense pas à la pandémie, ni à la distanciation sociale, mais je pense à une idée formelle. J’écris sans imaginer un film nécessairement. Mais comme j’écris des scénarios c’est sûr que je vois un concept. Mais je sais que je ne suis pas du tout en train de raconter une histoire. Mais, je me laisse aller… J’étais complètement intoxiqué par la lecture de plusieurs livres de Robert Walser, un auteur suisse qui regarde le monde avec une espèce d’ironie. Un regard très dandy. C’est très flâneur… C’était rendu que je parlais pratiquement comme dans ses livres. J’étais à Sarajevo, sans ami et chaque matin j’avais deux, trois heures pour moi. Je « pitchais » des dialogues sur papier qui à la limite ne me ressemblent même pas! Je suis revenu à Montréal en sachant très bien qu’il n’y avais pas un film à faire avec ça, alors j’ai laissé ça dans un tiroir. C’est Larissa Corriveau, pendant la pandémie, en mai 2020, qui voyant le fait que les acteurs n’avaient pas rien à tourner, m’a demandé si je n’avais quelque chose dans mes cartons. Je lui ai finalement montré ce scénario. Elle a été emballé. Et comme on ne pouvait pas se rencontrer on ne pouvait pas nécessairement travailler le texte. Donc, au final, ce film-là ne m’a jamais beaucoup habité, et n’a pas eu le temps de m’habiter… D’habitude, je fais dix versions de scénario…
Donc Hygiène sociale c’est écrit d’un seul jet?
J’avais besoin d’une fin. Donc, la fin que l’on voit, quand le mari est avec sa femme et sa maîtresse, ça, ça a été imaginé à la va-vite, dans le ton de tout le reste.On a deux rencontres distanciées sur des terrasses avant de tourner. Ils m’ont tous dit de ne rien changer au texte. Je leur ai promis qu’on faisait ça sans argent, sans rien, en moins de cinq jours, que je m’en allais chercher des champs avec François [Messier-Rheault, le directeur photo, NDLR]. Pif-paf, tourné en cinq jours. Pif-paf, ça se retrouve à Berlin. Pif-paf on le sort… Et là, je suis encore en train de trouver mes mots pour démystifier la chose. C’est comme si ça ne m’a pas habité. Ce qui n’empêche pas que c’est une belle expérimentation qui ajoute une flèche à mon arc. Mais c’est bizarre. Un peu comme un corps étranger, un truc libérateur qui me fait beaucoup rire.
Le titre avait aussi été trouvé à l’époque? Qu’est-ce qu’il veut dire?
Quand j’ai googlé ces deux mots accolés, je me suis rendu compte qu’en dehors d’un ou deux philosophe, personne ne s’était vraiment attaqué à cette expression-là. L’hygiène sociale… Je pense que j’ai écrit ça un peu sous l’influence des médias sociaux. Je trouve que ce titre évoque ce qu’il faut faire pour préserver notre image en tout temps, dans la sphère privée ou publique, les bruits que font les médias sociaux.Je trouve aussi que c’est assez élégant comme formulation. J’ai décidé de ne pas confronter le réel aux temps modernes et d’y aller avec une sorte d’élégance dandy, tout en périphérie, en anachronisme, abolir la notion de costumes pour ne jamais savoir quand se situe le film. Et aussi, éviter de tourner dans une chambre ou un salon pour ne pas faire dans le réalisme sociale. Donc, abolir tout ça et partir dans des lieux abstraits, des no man’s land. Évidemment, je savais que j’allais vers la comédie. Dans la grande périphérie d’une certaine vulgarité d’aujourd’hui… J’étais encore un peu dans Répertoire des villes disparues. Je pensais peut-être aussi à mon prochain film [« Un été comme ça », qui sera tourné cet été, NDLR].
Parlons maintenant d’Antonin, un « cinéaste qui se cherche ». Est-ce que c’est un peu vous Antonin ?
Dans tous nos films, on parle toujours un peu de nous. Si vraiment on veut rapprocher Antonin de moi, je crois qu’il y a énormément de contradictions. Je ne suis pas « un cinéaste qui se cherche ». Quand j’ai imaginé ça, j’ai plutôt pensé à quelqu’un a des projets mais qui n’arrive jamais à les terminer. Je trouvais que cela ressemblait beaucoup à des gens que je côtoient et qui ont toujours des projets. Ces fameux dans des cafés du Plateau Mont-Royal… Tout le monde travaille toujours sur des projets qu’ils ne terminent pas. (rires)… C’est niaiseux, mais ce film-là, j’ai vraiment envie de le réduire à sa plus simple expression. C’est juste du fun…
Mais Antonin, que représente-t-il pour toi? Et l’opposition avec ses femmes?
Encore une fois, puisque l’on est sur le ton de la comédie et de l’ironie, je ne veux pas dire que c’est un exemple de la masculinité toxique. Mais ce que j’aime chez lui, c’est que c’est un homme-enfant. C’est quelqu’un qui croit qu’il peut se débrouiller avec ses combines en utilisant un bon mot, en utilisant la bonne formule. Il a l’air d’être sorti d’une chanson de Gainsbourg, il a l’air de Jean-Pierre Léaud dans La maman et la putain. C’est quelqu’un qui magouille tout le temps et qui compte sur son charme pour se démerder. Confronté à ça, j’ai décidé de mettre cinq femmes droites, qui ne font qu’attendre que cet homme devienne un adulte. Et ça me fait rire. Il utilise des formules très immatures, mais cela dit, il garde un certain charme. Le but était de le rendre pas trop antipathique. Il n’est pas désagréable, mais c’est sûr que si on le l’aime pas dans les premières minutes, on passe à côté du film… Il y a toute une gageure avec ce film. Au montage, on a bien vu qu’au bout de sept ou huit minutes, on est en train de donner une frousse terrible au spectateur… On le savait. Alors on a essayé de rendre le film un peu plus sympathique. Mais on voulait jouer avec ça dans les premières minutes... Et je pense qu’on a réussit, parce qu’Hygiène sociale ne devient jamais lourd. Ce n’est jamais un pensum. On ouvre des portes, on ne les referme pas. C’est très flâneur, c’est du marivaudage. On ne casse pas la tête du spectateur, et si c’est ce qu’il ressent, c’est qu’il est entré en résistance contre la forme. C’est ma première comédie. Je trouve qu’on se marre et que ça fonctionne sur grand écran dans une salle où il y a de l’ambiance.
Entrevue réalisée par téléphone, le 10 mai 2021.
[Photo d’en-tête : Lou Scamble]