Entrevue avec Denis Côté
Mercredi, 27 novembre 2019
Douzième long métrage de Denis Côté, Wilcox prend l’affiche à compter d’aujourd’hui à Montréal. Projet atypique sans parole qui devait être à l’origine un documentaire sur les autobus scolaires abandonnés au bord du chemin, le film suit les périgrinations d’un homme solitaire qui se promène sans but apparent dans les campagnes du Québec. Ce personnage s’inspire des destins de plusieurs personnes connues ou non, qui ont décidé à un moment de leur vie de fuir le monde pour se lancer dans de longs périples vers l’inconnu. En introduction et en conclusion de son film, Denis Côté insère de très courtes biographies de ces personnes au parcours original, se dénouant pour certaines de manière tragique.
Dans un café du Boulevard Saint-Laurent, nous retrouvons le cinéaste au lendemain de son prix reçu aux RIDM. « Je cherchais des ermites célèbres, nous dit-il. J’ai pris des notes sur chacun et j’ai essayé de trouver un trait commun dans leur personnalité. Je n’ai rien trouvé. Mais, je me suis rendu compte qu’ils ne souhaitaient pas qu’on les connaissent ni qu’on ait accès à eux. J’ai frappé un mur, je vais faire pareil avec le public. J’ai donc fait un film sans essayer de les comprendre. Il fallait que je créé de la distance, de l’aliénation, de la distorsion pour que le public n’ait pas accès à mon personnage. Je me suis donc demandé ce qui pourrait être fait sur la forme qui puisse évoquer cette distance. Alors on a créé des obstructions visuelles… On a été au magasin à une piasse et on a acheté de petits objets ou des feuilles de plastique que l’on cassé puis placé devant l’objectif… On a aussi utilisé plusieurs types de distorsions sonores en postproduction. Au début, je voulais aller dans quelque chose de très radical. Faire un film totalement muet. Mais je me suis ravisé. J’ai confié la bande son à Roger [Tellier-Craig, NDLR], qui est dans Fly PanAm, qui fait de l’électronique, de l’électroacoustique. Je ne voulais pas de sons naturels qui donnent l’impression que l’on est dans un film contemplatif. Je lui ai donné un montage entièrement muet, sauf deux scènes au son naturel. Il m’est revenu avec trois ou quatre versions. Et voilà, c’était ça... La trame sonore ajoute encore plus de distance avec le public. »
Si l’image et le son nous éloignent de l’esthétique traditionnelle du cinéma narratif, la durée du film – 66 minutes – est elle aussi hors standard. « Avant de tourner, j’avais déjà envisagé un film ne dépassant pas une heure. On a monté le film en pensant tout du long au spectateur, nous précise-t-il. Comme Bestiaire. Ce sont des films pensés pour que le public ne s’ennuie pas… On a fait le montage en cinq jours. Avec mon monteur [Matthew Rankin, auteur de The Twentieth Century, NDLR] nous nous sommes donné comme objectif que ça ressemble à du « footage », que ça n’ait pas l’air d’avoir été monté. On avait une structure de base, mais on voulait vraiment essayer de donner au film un air ‘garroché’. »
À l’instar de Bestiaire, Que ta joie demeure ou Ta peau si lisse, la démarche appliquée à Wilcox est à nulle autre pareille. Sur ce point, le cinéaste tient à préciser que, même s’il a tourné sans notes, on ne peut pas parler d’un film sans scénario ou improvisé. « L’étape de préparation a duré deux mois. Les terrains visités, les autobus, les maisons... tout devait être préparé à l’avance pour que nous ayons les autorisations nécessaires. Seules deux scènes ont été tournées grâce au hasard. Celle avec les jeunes qui font du motocross, et celle – que j’aime beaucoup – avec les chasseurs. Ils étaient là, habillés en treillis militaire, comme le personnage. Ces deux scènes-là, ce sont des moments volés. Donc, deux mois de préparation et cinq jours de tournage. Ce sont des films qui sont organisés, mais pas improvisés. Est-ce qu’il y a un scénario? Ben… tu t’obsède, tu te dis que ça prendrait une fin… Ok, mais on n’est pas obligé! Les textes du début et de la fin, est-ce vraiment nécessaire? Je ne sais pas. Les deux scènes d’archives, on les met ou pas? On savait que ce serait tellement minimaliste, que l’on hésitait à ajouter des couches supplémentaires. »
Et quelle est la réception de ces films fabriqués hors des circuits de production traditionnels? « Quand je rencontre des jeunes lors de mes classes de maître, on me demande toujours: Comment fais-tu ces films-là? Comment les imagine-tu? Je les comprends ces questions. J’ai envie de dire pourquoi personne ne les fait? Ce ne sont pourtant pas des miracles. Il faut juste faire confiance au réel. Il ne faut absolument pas soumettre le réel à tes désirs. Un cinéaste qui écrit un projet et qui cherche un autobus vert au milieu d’un champ, il va le chercher par toutes sortes de moyens. Et il va le chercher pendant six mois. Il essaye de soumettre le réel à ses désirs, alors qu’il faudrait plutôt s’y abandonner. Pour ce film-là, le réel a tout le temps été le patron, tout comme moi. L’autobus vert [photo d'en-tête] je l'ai trouvé par hasard. Sinon, j’aurais fait avec ce que le réel m’aurait proposé. Ce sont de beaux hasard... On ne révolutionne rien ici, on se laisse juste porter par les surprises de la vie. Les gens ne sont pas habitués à ça. Au Québec, nous avons l’obsession du narratif qui fait passer ce genre de films pour des OVNI. Mais cela est juste une autre façon de raconter une histoire... ou plutôt de ne pas la raconter. »
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