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Anaïs Barbeau-Lavalette: « l’adolescence, c’est une prise de risques »

Vendredi, 25 septembre 2020

À l'occasion de la sortie en salle du très attendu La déesse des mouches à feu, nous nous sommes entretenus avec la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette, qui a souvent utilisé la jeunesse comme sujet de base, tant en court ou en long métrage, en documentaire ou en fiction. Notre première question revenait donc sur ce qui l’avait attiré dans le roman de Geneviève Pettersen, ce qui lui semblait qu’elle n’avait jamais traité auparavant. « L’authenticité de la voix du roman, nous dit-elle. À la lecture, je n’ai pas tant trouvé qu’il y avait un profil cinématographique, mais la charge et la vérité de la narration m’ont vraiment happées. Je l’ai lu en une nuit. Cette voix-là, cette façon de parler à l’adolescente que j’ai été, sans jugement, sans parler de haut, je trouvais que c’était unique. Je trouvais aussi que la génération des années 1990 avait été très peu vue sur les écrans. Tout ça m’a plu et m’a donné le goût de faire quelque chose avec. Après, le défi, c’était de voir comment on peut transposer dans un film l’authenticité d’une narration au « je », sans voix off. C’est le travail de l’adaptation de Catherine Léger, les dialogues et évidemment la mise en scène et le jeu des comédiens qui ont participé à conserver cette vérité. »

Bien que se déroulant au milieu des années 1990, le film est moins ancré dans son époque que dans le roman. « En effet, nous avons statué sur un 1990 suggéré. Tout est en accord avec l’époque, les décors, les costumes, mais on ne voulait pas appuyer l’ancrage du film dans le passé. Nous ne voulions pas être révérencieux par rapport à l’époque pour éviter les clichés. Avec la complicité d’André-Line Beauparlant, la directrice artistique, nous avons donc choisi de rester pudique par rapport à notre approche. »

Nous avons donc opté pour une forte charge poétique pour nous faire décoller du réel.

Bien que plutôt sombre et cru, le film garde une certaine poésie, une féérie, qui est peut-être même plus marquée que dans les longs métrages de fiction Le ring et Inch’Allah. « Je voulais qu’il y ait une charge sensuelle pas uniquement réaliste. Je pense qu’il y avait de la sensualité dans mes films précédents, mais cette fois, je voulais la travailler différemment. L’autre grande question portait sur la manière d’évoquer les trips de drogue, sans tomber dans des représentations psychédéliques… Nous avons donc opté pour une forte charge poétique pour nous faire décoller du réel. On peut être dans une scène très réaliste, et, subitement, se retrouver emporté dans une zone parallèle, surréaliste, sans qu’il y ait forcément de rupture de ton. »

Le film fait référence au feu et à l’eau qui sert à la fois de métaphore de la noyade ou d’illustration de la rédemption finale. « Dans le roman, il y a ça effectivement. La notion de déluge final, qui emporte la petite maison. Très tôt, nous avions choisi de ne pas aller dans cette voie-là, d’abord parce qu’elle aurait coûté beaucoup plus cher, mais aussi parce que ce n’était pas la conclusion naturelle de notre histoire. Cala aurait paru plaqué. Mais j’ai quand même tenu à ce que l’on garde la trame aquatique, mais vécue comme symbole de la noyade intérieure de Catherine, qui se libère à la toute fin en pleurant pour la première fois. »

Je n’aurais pas adapté ce livre si j’avais voulu protéger le spectateur. Le livre est frontal. J’aurais raté mon coup si j’avais eu le désir de prendre soin du public.

À l’instar de ses films antérieurs, la cinéaste se démarque avec La déesse des mouches à feu en abordant de manière frontale son sujet. Une démarche audacieuse qui se démarque des autres productions québécoises traitant de l’adolescence. « Je pense qu’on fait ce métier pour prendre des risques, affirme la cinéaste. Je n’aurais pas adapté ce livre si j’avais voulu protéger le spectateur. Le livre est frontal. J’aurais raté mon coup si j’avais eu le désir de prendre soin du public. C’est d’une part une façon de respecter l’œuvre, mais c’est aussi respecter les adolescents que d’arrêter d’essayer d’en prendre soin ou d’avoir peur pour eux. Ado, tu as envie d’être considéré comme un être à part entière, capable de se démerder, avec ses failles et ses précipices. En ce sens, le film embrasse la proposition extrême qu’il y a dans le roman. L’adolescence, c’est une prise de risque, donc mon film aussi prend des risques. »

Le documentaire m’aide à organiser la fluidité du vivan

Invitée à parler de l’impact du documentaire sur la fiction, la cinéaste nous précise que sa démarche de documentariste se fait sentir dans la direction d’acteur, élément essentiel dans le cas de La Déesse des mouches à feu. « Le documentaire aiguise l’oreille au réalisme des lignes, nous précise-t-elle. J’ai beaucoup écouté les vrais gens, de vraies conversions, donc dès qu’un dialogue sonne faux, un peu décalé, où l’on sent trop l’écriture, ça m’agresse. Il y a vraiment une question de musicalité dans les dialogues, ce qui fait que des fois je peux chanter la ligne à l’acteur, en lui indiquant quelle partie me paraît peu réaliste. Mais sinon, le documentaire m’aide à organiser la fluidité du vivant. Dans la vie, on n’arrête jamais de vivre… Parfois, j’ai l’impression que dans certaines mises en scène, les personnages sont statiques. Or, les adolescents ne sont jamais statiques, surtout dans les années 1990 où il n’y avait pas de cellulaire. Pareil dans les dialogues, il peut y avoir deux personnes qui parlent avec deux ou trois autres qui parlent autour d’eux en même temps… il y a un espèce de bordel ambiant dans le groupe qu’il était important de préserver. Tout ça je crois que cela vient de ma sensibilité au réel. »

Si la cinéaste reconnaît que le tournage s’est déroulé de façon fluide, elle admet également avoir beaucoup travaillé avec les acteurs lors des scènes de sexe, les plus délicates à mettre en scène, selon elle. « Ceci dit, on en a vraiment pris soin, précise-t-elle. Ce qui fait qu’au final, ce ne sont pas des scènes qui ont été difficiles. Vertigineuses et vulnérabilisantes (sic), oui, mais nous avions tout chorégraphié, au geste près. Rien n’avait été laissé au hasard. Nous avons eu beaucoup d’heures de répétitions pour chacune de ces scènes. »

Dans le rôle de Catherine, nous découvrons Kelly Depeault dans son premier rôle dans un long métrage et que l’on retrouvera prochainement aux côtés de Sophie Desmarais dans Vacarme de  Frederick Neegan Trudel. « On a vu beaucoup d’actrices sur le rôle de Catherine. En casting, j’ai su rapidement qu’elle avait était capable d’incarner à la fois une force extrême et une faille profonde. Les deux cohabitent dans le rôle. Elle n’a pas eu peur d’aller puiser dans sa vulnérabilité et elle a vraiment porté le film sur ses épaules. On était vraiment très proches. Et encore là, beaucoup de répétition, et une très grande connivence lors du tournage. »

Entrevue réalisée à Montréal le 15 septembre 2020.

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