La marina : entrevue avec Étienne Galloy
Vendredi, 12 mars 2021
Vous connaissez Christophe Levac et Étienne Galloy pour leur participation en tant que comédien à plusieurs films remarqués récemment, comme Jeune Juliette pour le premier ou Kuessipan pour le second. Avec La marina, vous les découvrirez cinéastes. Présentée à Fantasia l’an dernier, cette comédie dramatique aux accents expressionnistes suit le quotidien d’un groupe de jeunes employés d’un parc à bateaux de la Rive-Sud. Sport, amour et dérision sont au rendez-vous de cette chronique douce-amère bien dans l’air du temps. À l’occasion de la présentation du film sur Crave, à compter d’aujourd’hui, nous avons voulu en savoir un peu plus auprès d’Étienne Galloy, coscénariste et coréalisateur.
En 2018, vous réalisez avec Christophe Levac votre premier court métrage. Vous réalisez un premier long moins de deux ans plus tard, ce qui n'est pas si fréquent. Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet?
On dirait que ce sont plusieurs décisions qui ont abouti de manière positive. Christophe et moi, on gagne notre vie comme comédiens. Lui a étudié en cinéma, mais moi non. Quand j’ai commencé dans le cinéma, j’ai eu la chance de travailler avec Eric K. Boulianne, Rémi St-Michel. Je les regardais travailler avec une petite équipe, avec peu de budgets et je trouvais ça cool. À chaque fois que j’étais sur un plateau comme comédien, je me disais que j’aimerais ça faire mes propres films. C’est une passion qui a grandi de plus en plus. Christophe avait cette même passion. Alors quand nous avons fait « Tandem », c’était pour nous l’occasion de travailler cette collaboration. Nous avions en tête des films communs. Tandem, c’est un petit court métrage de cinq minutes et c’était l’occasion de se faire la main et d’apprendre à travailler ensemble. J’avais entendu du programme Talents en vue de Téléfilm Canada en voyant Les faux tatouages de Pascal Plante. J’avais capoté sur ce film. On a lu les règles du programme. Ça ne prenait pas beaucoup d’expérience pour être éligible. Ce que l’on trouvait cool, c’était de pouvoir faire un long métrage, sans trop d’argent, mais qui correspondait à tous les films américains qui nous avaient fait triper. Cela correspondait avec notre volonté de faire du cinéma indépendant. On a déposé avec le soutien de Main Film. On avait juste une chance. On avait envie de faire un film, mais on ne savait pas que ça allait marcher. Et finalement, ça a fonctionné. Je t’avoue que La marina, c’est un peu une continuité de notre premier court. C’est un genre de « coming of age », un peu cru dans le langage, mais très calme, de très posé dans la caméra. On dirait que ce programme est parfait pour faire ce genre de films. Un entre-deux entre le divertissement et le cinéma d’auteur. Et on dirait qu’au Québec, il n’y a pas beaucoup de films comme ça.
Dans La marina, on retrouve plusieurs préoccupations qui touchent beaucoup de jeunes aujourd'hui, l'avenir à deux, la création, l'environnement, et d'autres. Quel a été le point de départ de votre histoire?
Plein d’affaires! Christophe et moi, nous sommes des gars préoccupé par plein de sujets… on est des gars angoissés! On se disait que ce serait le fun d’écrire un film dont les personnages sont hétéroclites. Un peu comme nous. Et qui représentent de plus en plus la jeunesse d’aujourd’hui. Des jeunes diversifiés, qui ont plein de préoccupations majeures et qui se créent des angoisses existentielles. Ça collait bien dans notre film. Par exemple, la scène du parc où les deux personnages parlent de la vie ailleurs, de l’avenir ou les préoccupations de Noah concernant l’environnement. Ce sont des réflexions que Christophe et moi avons et que l’on souhaitait transposer à l’écran de manière assez simple avec des personnages les plus humains possible.
Est-ce que lors de l’écriture ou du tournage vous avez laissé libre cours à l'improvisation de vos comédiens?
On a beaucoup travaillé avec eux… en fait, les rôles ont été écrits pour eux. Le travail sur les dialogues s’est donc fait avec leur collaboration. Mais il n’y a pas tant d’improvisation que ça dans le film. Parce que l’on tournait beaucoup en plan-séquence, pour coller à l’ambiance banale de la banlieue. Le problème avec cette technique du plan-séquence, c’est que c’est long. On a juste une prise. Alors oui, l’improvisation peut créer des moments vraiment le fun, mais ça peut aussi ne jamais marcher et faire perdre du temps à toute l’équipe. On s’est donc concentré sur l’écriture de dialogues la plus proche de nous, la plus réaliste possible, en travail de table avec les comédiens. Pour que lorsque l’on arrive sur le plateau, étant donné qu’on a travaillé les dialogues, le texte, la mise en scène, on peut pousser plus l’interprétation. On n'a pas beaucoup de temps pour faire ça d’habitude. Quand tu sais que tu fais un film avec peu d’argent et très peu de temps de tournage (15 jours, NDLR), il faut écrire en conséquence. Pas beaucoup de personnages, peu de lieux, pas trop de découpage. On a essayé de construire un film en ayant conscience de nos moyens. On s’est dit que si l’on voulait le plus possible apprendre de notre expérience, il fallait limiter les mauvaises surprises et arriver fâché un jour en se disant qu’on n’a pas l’argent pour faire ce que l’on veut faire. C’est pourquoi nous avons maximisé nos chances en connaissant bien nos restrictions.
Parlant de restrictions, de petit budget et de tournage limité, est-il nécessaire de séparer les tâches? Avez-vous des spécificités? Comment s'organise le travail entre Christophe et vous?
Encore aujourd’hui je me dis que c’était assez guérilla notre affaire! On avait tellement une petite équipe! Avant le tournage, on a essayé de se séparer les tâches. On s’était dit que, moi mes forces, c’est la direction d’acteurs, la mise en scène. Pendant ce temps, Christophe aurait travaillé le cadre avec le directeur photo… ce genre de truc… mais je t’avouerais que l’on aurait pu perdre du temps en décision. Donc on a travaillé à peu près tout ensemble, et au final, étonnamment, je pense qu’on a gagné du temps.
Quelle a été l'importance de votre présence devant la caméra dans la réalisation de ce film?
Oh my god, tellement d’affaires! J’ai lu beaucoup de scénarios dans ma vie, pour la télé, pour le cinéma… J’ai beaucoup d’expérience avec l’interprétation de dialogues.. Je sais ce qui sonne bien dans une bouche, surtout pour des personnages de jeunes de mon âge. Donc, ce qui m’a aidé de mon expérience d’acteur, c’est de préparer les dialogues comme si c’est moi qui allais le jouer, pour que les comédiens soient capables de les rendre de la manière la plus naturelle possible. Ça veut dire aussi écrire dans un certain joual, que des fois les auteurs n’osent pas… Sinon, pour la direction, je sais tellement comment la réplique doit sonner, cela me permet d’aller voir les comédiens et de les aider à trouver le ton que je souhaite. Notre film jongle entre l’humour et le drame… et des fois, c’est un peu difficile d’aller chercher ce ton-là.
On vous connaît comédien, maintenant cinéaste. Avez-vous une préférence? Souhaitez-vous continuer dans les deux voies?
Pour l’instant, oui, je souhaite continuer dans les deux voies. J’aime jouer, mais j’aimerais aussi ne pas nécessairement devoir jouer pour gagner ma vie, parce que j’adore la mise en scène et la réalisation. J’aimerais pouvoir jouer de temps en temps dans des films qui me passionnent et écrire et réaliser quand j’ai un projet que je veux raconter. Après La Marina, j’ai fait un court métrage (intitulé "Je suis amoureux de mes souvenirs", NDLR) qui voyage beaucoup en ce moment et qui gagne des prix et je travaille déjà au développement de mon prochain long métrage. On dirait que j’ai le goût des deux et on dirait aussi que plus j’apprends en tant que comédien, plus cela me sert en tant que réalisateur et vice-versa. Le fait d’avoir brisé la glace à deux, cela nous a donné confiance. Nos prochains films seront faits en solo, mais des fois je me dis qu’on a une tellement belle connivence avec des univers créatifs qui se rejoignent, qu’à un moment donné on refasse équipe ensemble!
(Photo d’en-tête : Christophe Levac (g.) et Étienne Galloy (d.) - Crédit : Fred Gervais Dupuis)