Le bruit des moteurs : entrevue avec Philippe Grégoire
Vendredi, 25 février 2022
Le premier long métrage de Philippe Grégoire, Le bruit des moteurs sort en salle ce vendredi 25 février. Nous nous sommes entretenus avec le réalisateur et scénariste à propos de ce projet atypique qui ne cesse de surprendre en raison de son succès rencontré lors de son très beau parcours en festivals. Du reste, le film vient d’être nommé aux Prix Écrans canadiens dans les catégories Meilleure réalisation, Meilleure actrice de soutien et Meilleur premier film.
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Pour ce premier long métrage, vous mettez beaucoup de vous dans l’histoire. Vous évoquez votre expérience en tant qu’instructeur et vous tournez dans votre région de naissance. Pourquoi avoir choisi ces deux axes?
Lorsque je me suis mis à écrire, je me suis dit que, quitte à écrire 80-90 pages, il faudrait que cela porte sur quelque chose que je connais bien, en puisant dans le réel, dans ma réalité. Les vraies histoires de nos vies sont souvent plus précises et improbables que tous les clichés auxquels que l'on peut imaginer. Je voulais aussi écrire sur quelque chose d'original, que les autres ne connaissent pas. Or, je crois que je suis pas mal le seul étudiant en cinéma du Québec qui a dû travailler comme agent instructeur aux Douanes pour gagner sa vie! C’est un monde totalement différent que l’on ne voit pas beaucoup. Quant à mon village, Napierville, Saint-Bernard-de-Lacolle, Hemmingford, j’y ai tourné tous mes courts. Mes histoires se passent toujours en milieu naturel, en extérieurs. Ce sont ces lieux-là que j’ai envie de photographier, d’y faire évoluer mes personnages. Aussi, je ne le voyais pas vraiment mon village lorsque j’y vivais. Je pensais venir d’une région anonyme. Quand on vient d’une région éloignée, il y a un sentiment d’appartenance fort qui se crée. Mais nous on était tout près de Montréal. Un lieu que l’on ne voit pas et où l’on ne s’arrête pas. Alors je me suis mis à le filmer ce lieu. C’était important pour moi que le public étranger voit mon village.
Est-ce que cela ne vous donnait aussi l’occasion de parler d'une forme de désolation des régions?
Oui, le personnage d’Alexandre est quand même dur envers son village, même si l’on sent l’amour qu’il porte envers le lieu. Même s’il ne trouve rien de beau à en dire, il est quand même capable de trouver l’envie d’en parler et de le partager avec les autres. C’est aussi pour ça que je vais continuer de tourner dans mon village. C’est fort en moi. Malgré que ce ne soit pas une carte postale, j’ai envie de le filmer.
Le film oscille entre réalisme, fantastique. Vous créez un univers assez magique qui peut s’apparenter à du Denis Côté ou du André Forcier. Quelles ont été vos principales inspirations esthétiques ou narratives?
Au niveau du cinéma québécois, oui Denis Côté qui a beaucoup filmé en région, dans des forêts qui peuvent être dangereuses. L’audace et l’originalité de Côté, qui est un grand cinéphile et qui a une grande présence en festival, moi ça me plaît beaucoup. Au niveau de la tonalité pince-sans-rire, j’apprécie particulièrement le cinéma de Stéphane Lafleur. Mais, lors de l’écriture, je savais que je ne voulais pas trop coller à d’autres auteurs, même si je pensais que cela ressemblerait quand même à du cinéma québécois. Au niveau du cinéma international, je citerai Bruno Dumont, cinéaste que j’ai eu beaucoup de plaisir à suivre. La série du P’tit Quinquin, ses policiers, son enquête loufoque… Tournage extérieur, lumière naturelle. Et Dumont est aussi très lié à sa région du nord de la France où il a grandi. J’y trouve des échos avec mon propre attachement. Par contre, j’ai lu certains textes dans lesquels on me comparait à Quentin Dupieux… J’adore le cinéma de Dupieux, mais je dois dire que pas une seconde je n’ai pensé à lui! Je suis heureux et flatté, quand même (rires).
Parlez-nous des références à André Forcier, auquel vous faites un beau clin-d'oeil dans le film.
Quand on me demande quels sont mes films favoris de Forcier, je cite Au clair de la lune avec les voitures, les flammèches qui sortent de partout, c’est tellement fou cette idée de monstres qui crachent! J’ai amené Forcier dans mon film comme une sorte d’hommage à sa liberté. Tout est possible dans son cinéma! Lorsque j’écrivais le personnage de la jeune islandaise qui aime les mots, la langue française, je me suis demande qui incarnait le mieux cet esprit au Québec, André Forcier s’est imposé à moi comme une évidence. Écouter Forcier, ses mots, ses dialogues, je trouve ça doux, plaisant, ludique… j’ai vraiment du plaisir avec lui!
Comment vous-êtes vous assuré du dosage entre humour, drame, et féerie?
C’est vrai que certains points du films auraient pu être plus graves. Mais, je savais que je voulais garder un ton de dérision tout au long du film. Aussi, je me suis demandé à plusieurs reprises comment est-ce que je me sentais par rapport à mon sujet, en tant que cinéphile. Est-ce que cela me fait rire? Est-ce que cela m’intéresse de tourner cette scène? Je ne me suis dit aussi qu’il ne fallait pas avoir peur de prendre des décisions risquées. On apprend de cette manière-là aussi. Il y a beaucoup de cinéastes au Québec. C’est difficile. Pourquoi moi aussi j’en ferai un? Qu’est-ce que j’apporte? Je devrai peut-être laisser les autres en faire. Alors, j’ai approché le projet de manière humble et honnête. Je vais amener ma partie, ce ne sera pas plus, ce ne sera pas moins, mais au moins, j’aurai amené quelque chose de manière honnête en étant libre. Personnellement, j’aime le cinéma d’idées, le cinéma de liberté. Je voulais que cela soit bien présent dans Le bruit des moteurs.
Sur un plan technique, j’aimerais savoir comment vous avez approché le tournage d’un long métrage, vu que vous ne disposiez que d’un budget très limité?
Beaucoup de décisions se sont prises pendant l’étape d’écriture. Je me disais qu’il était possible que j’ai zéro dollar et que je fasse le film avec mes économies… Auparavant j’avais coproduit le film Oscillations de Ky Nam Le Duc, ce qui m’a permis de voir comment on fait un film avec seulement deux bourses du Conseil des Arts. Je n’avais pas eu de sélections à Cannes, Venise ou Berlin avec mes courts, donc, je savais que le financement n’arriverait pas rapidement. Maintenant, avec les technologies numériques on peut faire des films à moindre coût. J’avais tout ça en tête en écrivant le scénario. Donc, la chambre chez Alexandre, c’est la chambre chez mes parents, le sous-sol de la grand-mère, ça va être vraiment le sous-sol de chez ma grand-mère… J’ai tourné dans mon village. J’ai cogné aux portes. Et cela m’a libéré des contraintes et de trouver des lieux de tournage que j’ai envie de filmer. Après, on verra si on peut le faire avec le budget. Il faut aussi que je sois convaincant sur le plateau, afin d’amener l’équipe avec moi. Faut que je leur vende du rêve! Faut que je sois positif. Et à un moment donné, on est quatre ou cinq à se rendre en Islande pour faire les images de la dernière portion du film!
En guise de conclusion, qu'avez-vous appris lors de ce premier long qui va influer sur la suite des choses?
Au final, j’ai appris que je peux me faire confiance, que je peux être audacieux, que les gens – du moins ceux que je veux embarquer avec moi – vont me suivre. J’ai fait un film en laissant des zones grises pour laisser le spectateur travailler. J’aime beaucoup l’idée qu’après le visionnement, les gens se parlent de ce qu’ils viennent de voir, qu’il y a des questions, un dialogue. Je me suis rendu compte que les gens que je cherche à convaincre embarquent. Pas besoin de chercher à plaire. Pour mon prochain film, je peux être encore plus audacieux!
Image d'en-tête : Philippe Grégoire par Mark Layvike