Entrevue avec Santiago Bertolino
Jeudi, 23 janvier 2020
Début 2016. Le réalisateur Santiago Bertolino prend sa caméra et emboîte le pas de la comédienne et militante innue Natasha Kanapé Fontaine pour la suivre dans ses déplacements. Pendant un an, il l'accompagne dans des soirées de lancement, des performances, des manifestations, au Québec, en Haïti, à Standing Rock ou dans un festival de poésie en Slovénie.
Auteure de plusieurs recueils renommés, Natasha Kanapé Fontaine défend ardemment la langue et la culture innue, participant ainsi à la prise de conscience du fait autochtone, tout en prônant le nécessaire rapprochement entre les cultures. Nous avons rencontré le cinéaste, reconnu pour ses longs métrages Carré rouge sur fond noir (2013) et Un journaliste au front (2016), pour qu'il nous en dise plus long sur son film, et sur la démarche de cette artiste engagée débordant d’humanité et de détermination.
« Je suis toujours à la recherche de gens qui combattent dans l’urgence, nous dit-il d’emblée. J’ai rencontré Natasha dans le contexte d’une manifestation environnementale, peu après avoir terminé mon premier film. Lorsque je l’ai rencontré elle était l’une des seules autochtones présentes. Je me suis intéressé à elle et plusieurs années plus tard, elle a accepté que je fasse un film sur elle. Elle est tout le temps sollicité, donc il a fallu que je trouve une méthode pour ne pas l’encombrer. À la base je voulais articuler sur sa prise de parole, découverte du territoire, la langue, etc. et je me suis rendu compte que ce qui est intéressant ce n’est pas tellement le personnage privé, voilà pourquoi le film s’articule autour de ses prises de parole publiques. La force du film, c’est vraiment une parole qui transparaît dans tous les événements auxquelles elle prend part. Ce choix a été pour moi un vrai défi de montage car j’avais énormément de matériel. »
Nin E Tepueian – Mon cri intègre les poèmes à la prise de position concrète de l’auteure. Elle pose des gestes, qui l’ancre dans la réalité et dans le contact avec l’autre. « Oui, ce n’est pas juste une poésie qui parle de ses états d’âme, mais de ses préoccupations au sein d’un peuple tout entier. Dans le film, je pars du ‘je’, qui est-elle, d’où vient-elle, pour aller vers le ‘nous’, la Natasha qui se pose en modèle pour les autochtones de demain. Son travail ce n’est pas juste la poésie. »
Le film est une invitation à la rencontre et à l’échange. Toutefois, le cinéaste a souhaité ne pas donner de consignes aux spectateurs. « J’aimerai que les gens se confrontent à sa parole, avoue-t-il. Ce n’est un film moralisateur, mais lorsqu’elle parle de ‘conflit colonial’, écoutez-là, on a une responsabilité face à la situation... les blancs, les allochtones, nous faisons partie de la même ‘game’. Elle essaye de nous faire comprendre comment on se sent avec ce poids sur les épaules. Le film fait un peu le relais entre cette blessure et le public. Natasha a été l’un des premières voix médiatiques à aborder ces thèmes. Elle sent qu’elle a une grande responsabilité, et pourtant elle puise son énergie dans toutes ses activités. »
Cinéaste indépendant, Santiago Bertolino a fait le choix de se tourner vers certaines préoccupations importantes. D’ailleurs son prochain projet devrait traiter de l’Amazonie. Se reconnaît-il dans la personnalité de son sujet? « Oui, dit-il. Je me retrouve un peu dans Natasha. Moi aussi, je suis un peu comme mes personnages, toujours un peu dans l’urgence... J’essaye d’éveiller la population à ma manière. Mes combats et ceux de Natasha se ressemblent un peu. »
Présenté en ouverture lors de la 29e édition du festival Présence Autochtone, le film a reçu la mention honorable Rigoberta Menchú - Communautés. Nin E Tepueian – Mon cri prend l’affiche demain à Montréal et à Québec. Plusieurs ciné-rencontres en présence de Natasha Kanapé Fontaine et Santiago Bertolino sont organisées au cours de la première fin de semaine. Le film sera précédé du court métrage Ma fierté, réalisé par Kassandra Vollant et produit par Wapikoni mobile.
Nin E Tepueian – Mon cri
Long métrage documentaire - Québec / 82 minutes / 2019 / Version originale en français, anglais, innu - avec sous-titres français ou anglais - Écrit et réalisé par Santiago Bertolino - Avec la participation de Natasha Kanapé Fontaine - Direction photo : Santiago Bertolino | Son : Anton Fischlin | Montage : Santiago Bertolino | Musique : Cris Derksen, Jorane et Bobby McFerrin, Stefan Braun, Geronimo Inutiq (Madeskimo), Loscil, Esmérine | Production : Catherine Viau et Daniel Bertolino (Via le Monde) | Distribution : Les Films du 3 Mars