Entrevue avec Miryam Bouchard
Jeudi, 13 août 2020
Laura, fillette qui veut s’émanciper quitte à choquer son père en allant contre ses idées. Est-elle représentative de ce qu’était la cinéaste à treize ans? « Laura, c’est un peu mon alter-ego, mais pas complètement nous dit Miryam Bouchard. Dans Mon cirque à moi, tout est vrai et tout est faux. Ce qui lui arrive m’est parfois arrivé, mais pas complètement. Ce n’est pas un biopic. Par exemple, on n'habitait pas dans une roulotte, mais dans un appartement, et le personnage de Mandeep n’existait pas. Oui, j’ai été un peu présentatrice des spectacles de mon père, mais je n’étais pas sur scène avec lui, j’étais incapable de jongler! Laura est en opposition avec son père comme tous les enfants qui se cherchent et qui veulent dénoncer des limites. Quand c’est un parent qui est autoritaire, tu veux la liberté, et à l’inverse quand c’est un parent plus libre, tu veux un peu plus de cadres. Ça va ensemble. »
Quelques scènes du film marquent cette transgression aux lois paternelles, notamment lorsque Laura entre dans une église. « Oui, tout à fait, dans la religion est un rite de passage qui a des étapes à franchir, comme le baptême, la communion ou la confirmation. Ce sont des balises qu’elle n’a pas. Donc elle va aller les chercher par elle-même, un peu aussi pour provoquer son père qui est contre toute forme de dogme. Ce qu’il veut c’est la liberté. Point. »
Le scénario est écrit par Martin Forget, à partir des souvenirs de la cinéaste. « Martin a écrit principalement le scénario, comme un grand… rires. Moi, je lui racontais mes histoires. Je lui ai fait un synopsis détaillé et à partir de ça, on a échangé sur les diverses versions. À la fin, le scénario de tournage, c’est plus moi qui l’ai fait. Mais le gros du travail c’est Martin. Il m’écoutait raconter des anecdotes et me disait qu’effectivement ce n’est pas banal comme enfance. » La cinéaste a préféré laisser cette tâche à quelqu’un dont c’est vraiment le métier, toutefois elle aime travailler en collaboration avec un scénariste, avouant aussi que « c’est une discipline folle que je possède moins. »
Bien que le film soit essentiellement centré sur la relation entre Bill, le père et Laura, sa fille, le personnage de la mère défunte est bien présent. Aux yeux de la réalisatrice, elle représente l’espoir de Laura. « Elle lui a légué la possibilité de s’émanciper en lui laissant de l’argent. Je ne pouvais pas vraiment avoir une maman dans l’histoire parce qu’il n’y aurait pas eu d’antagonisme… Il n’y aurait pas eu de confrontation entre le père et la fille, la mère aurait essayé de pallier à tout ça. J’exagère un peu… Avec son héritage, Laura aurait pu aller au collège privé, un peu comme une sorte d’assurance-vie. Mais la mère peut être vue par le biais du personnage de Mandeep, qui dégage une certaine forme de tendresse envers Laura, mais surtout à travers le personnage de Patricia [Sophie Lorain, NDLR], et, incidemment, ma mère aussi est prof. Donc le film, c’est aussi un peu un hommage à ma mère. »
Outre Patrick Huard, Robert Aubert et Sophie Lorain, Jasmine Lemée complète le quatuor de comédiens principaux. Dénichée par le biais des auditions lors desquelles elle a démontré « une énergie du tonnerre », la jeune actrice vue dans quelques scènes de Paul à Québec, en est à son premier grand rôle au cinéma. « C’est extraordinaire, dit la cinéaste. Elle a découvert avec nous comment pleurer à l’écran. On est témoins de cela. Et évidemment avec les jeunes acteurs, quand on ouvre les valves, c’est difficile de faire marche arrière, donc c’était difficile de ne plus pleurer. Elle nous regardait, en nous disant ‘je ne suis pas capable d’arrêter!’… C’était tellement touchant! Parce que tu sais que c’est la première fois. C’était fabuleux. Je n’ai pas employé de coach. Comme sa mère comprend bien les tournages, elle l’a beaucoup préparée. Surtout d’un point de vue de l’organisation puisqu’on ne tourne pas en ordre chronologique. C’est quelque chose de particulier pour les enfants, savoir rattraper l’émotion dans laquelle tu étais deux semaines auparavant… Avec Ronald Plante, le directeur photo, j’ai mis un dispositif en place au niveau de la caméra et de la lumière qui nous permettait de ne pas perdre de temps pour que Jasmine puisse être en état de jeu le plus longtemps possible et que la première prise soit la bonne. Avec les enfants, la première prise contient souvent quelque chose de magique. Aussi, Patrick et Robin étaient capables de suivre et de faire un peu d’improvisation si jamais on dérogeait. »
Pour faire jaillir cette étincelle, la réalisatrice a privilégié un tournage sans trop de préparation. « Patrick s’est beaucoup préparé, nous dit-elle, surtout pour ses jongleries… rires. Ça a duré deux mois, mais sinon, non, on fait une ou deux lectures, c’est tout. Pareil avec Jasmine et Mathilde qui joue Justine sa copine, j’ai fait une lecture pour répondre à leurs questions, également pour mettre certains dialogues dans leur bouche. C’est le fun faire ça! On a parlé du personnage, des costumes, du maquillage, de la coiffure… déjà là, tu es dans un travail de création, comme un forgeron. Après, quand ce travail est fait, je trouve qu’il faut le laisser vivre sur le plateau. En plus, on n’était pas dans une dynamique de comédie, où le rythme est plus mécanique. Ça, c’est autre chose. Dans ce cas, oui, j’aurais tendance à plus répéter, mais puisqu’on était à la fois dans la comédie et le drame, j’ai préféré rester dans l’émotion. »
Entrevue réalisée à Montréal, le 4 août 2020.