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Québec Cinéma

Entrevue avec Carlos Ferrand – Qui était Serge Emmanuel Jongué?

Jeudi, 16 juillet 2020

Le plus récent film du documentariste Carlos Ferrand, Jongué, carnet nomade prendra l’affiche dès le 24 juillet au Cinéma Moderne (en version française ou anglaise) et au Cinéma du Musée (en version française). À noter que pour permettre au plus grand nombre de voir le film, il sera rendu disponible sur les plateformes en ligne du Cinéma Moderne et du Cinéma du Parc, dès le 31 juillet, mais pour une durée limitée seulement. Nous avions eu la chance de nous entretenir avec le cinéaste, lors de la présentation de son film en première mondiale lors des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) l’an dernier. Comme beaucoup, nous ne connaissions pas Serge Emmanuel Jongué, né à Aix-en-Provence en 1961, puis venu s’installer au Québec à l’adolescence pour fuir un passé rempli d’ombres et de blessures. Nous avons donc demandé à Carlos Ferrand de nous en dire plus sur ce personnage intriguant, décédé très jeune en 2006.

« J’ai découvert Jongué en 2011, lors d’une exposition magnifique faite par Serge Allaire. Son parcours et ses origines m’ont tout de suite touché. Sa mère échappée d’un camp de concentration en prenant l’identité d’une amie, et qui est morte alors que Jongué avait six ans, son père de Guyane Française, qui disait qu’il venait de Guadeloupe… Et un frère, qu’il n’a jamais connu, mort pour avoir pris une photo des nazis durant l’occupation de Paris. Quel personnage! J’ai eu tout de suite envie de faire un film sur lui, mais cela a pris plusieurs années pour pouvoir amasser les fonds et surtout donner forme au projet. Heureusement, il existe la Fondation Serge Jongué. De plus, sa femme, qui connait parfaitement son œuvre, m’a beaucoup aidé dans mes recherches. Elle m’a guidé très clairement. »

Photographe, écrivain, journaliste… Serge Emmanuel Jongué était aussi un grand connaisseur de bandes dessinées. « C’était aussi très intéressant pour moi de parler de quelqu’un qui s’intéresse à un art dit mineur, en plus d’avoir gardé toute sa vie la dualité mots-images. » Comme le philosophe Walter Benjamin, précédent sujet de Ferrand, Jongué est un personnage atypique qui incarne la migration et les douleurs qui viennent avec. « Ce qui m’intéresse, c’est la vibration entre plusieurs aspects de la vie. Je suis à la recherche de la pureté, des zones troubles, du métissage, des rencontres avec l’autre… l’opposé du classicisme. Une des raisons qui font que j’aime l’hiver, c’est que toutes les certitudes du progrès sont couvertes par la neige et la gadoue. JCela me rappelle la boue andine. Je suis à l’aise dans ces espaces flous, situés entre ce qui est communément déclaré comme important et ce que l’on bannit du domaine de l’importance. Le supérieur et l’inférieur m’intéressent beaucoup. »

Parler de gadoue et de zones floues, c’est aussi faire le lien avec les formes multiples que prend l’esthétisme chez Ferrand. « C’est important pour moi le brouillon, l’art brut, les choses inachevées, rouillées, les murs dont la peinture s’écaille… mon œil est attiré par tout cela. Je crois aussi que le cinéma s’apparente à la haute couture, dans le sens qu’il faut donner une forme à la matière. À la matière des idées. Je suis très attiré par le graphisme, les choses faites à la main. Alors, tout le film est cousu à la main, grâce au montage de Guillaume Millet. On a mis ‘montage et enluminures’ [au générique], comme le travail des moines qui illustraient les livres, les bibles, avec des dessins somptueux, très colorés, baroques. Pour cela, Guillaume a utilisé un petit stylo, comme avant pour faire la gravure. Il a tout fait avec ce stylo qui donne les ordres à l’ordinateur… le clavier ne sert presque plus à rien. Tout est touché par la main. C’était très beau de le voir travailler, à fabriquer, à coudre le film! »

« Nous avons conçu lee récit chronologiquement parce que Jongué a été très marqué par sa jeunesse, ensuite parce qu’il est décédé jeune, et enfin parce qu’il aurait voulu pouvoir retourner en enfance. La courbe de sa vie s’est imposée comme le chemin à suivre, tout naturellement. Le storyboard était fabriqué dans ma tête, mais je n’existe pas si je n’ai pas quelqu’un qui peut lui donner vie et l’améliorer. C’est Guillaume qui s’est chargé de cela, avec un plaisir fou. Une chose qui nous a donné beaucoup de liberté c’est de voir la liberté que prenait Jongué avec ses photos, genre de polaroids impressionnistes, souvent floues, fabriquées comme un peintre à l’aide des débuts de Photoshop. Ce n’était pas un puriste, il mettait les mains à la pâte, comme s’il travaillait avec de la plasticine. Cela nous a donné la permission de faire notre propre peinture. Avec les outils numériques, il n’y a plus de limites, sauf celles de l’imagination. »

Entrevue réalisée par Charles-Henri Ramond, à Montréal, le 13 novembre 2019.

 

JONGUÉ, CARNET NOMADE - Documentaire. Québec / Canada. 2019. 81 minutes. Version originale française ou anglaise - Écrit et réalisé par Carlos Ferrand - Directeur photo : Carlos Ferrand | Monteur : Guillaume Millet | Conception sonore : Catherine Van Der Donckt | Mixage sonore : Benoît Dame | Musique : Claude Rivest | Prise de son : Guillaume Mollet, Catherine Van Der Donckt | Narrateur : Joël Des Rosiers (version française), Christian Campbell (version anglaise) | Production : Les Films de l’Autre | Distribution : Les Films du 3 Mars

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