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Québec Cinéma

Bernadette Payeur se souvient

Jeudi, 26 septembre 2019

Fondée en 1971, l’Association coopérative de productions audiovisuelles (ACPAV) a produit au cours de son existence  nombre de films d’auteurs marquants, tels Antigone de Sophie Deraspe, La disparition des lucioles de Sébastien Pilote ou encore Labrecque, une caméra pour la mémoire de Michel La Veaux pour ne citer que quelques titres récents. Au fil du temps, plusieurs cinéastes majeurs, dont Bernard Émond, Benoit Pilon, ou Paul Tana, sont restés fidèles à cette compagnie de production indissociable du paysage audiovisuel québécois. Pierre Falardeau était de ceux-ci.

Bernadette Payeur a agi à titre de productrice sur six de ses films au cours des trente années qui suivirent leur rencontre, au milieu des années 70. “Pierre aimait ça qu’on se batte pour ses films. Il a été pour l’ACPAV un véritable moteur.” nous confie-t-elle. Nous avons mis à contribution les souvenirs de Mme Payeur pour remonter le fil du temps et passer en revue un à un chaque long métrage du cinéaste.

Elvis Gratton (1981-1985) - “Pierre était vidéaste, j’admirais déjà  ses vidéos dont Le Magra dont je sentais déjà la force et le mordant. Le premier court métrage de Elvis Gratton, c’était en réponse à un concours organisé par Télé Québec pour aider les jeunes cinéastes à faire leur premier film. Je travaillais déjà ici, à l’ACPAV. Pierre était vidéaste, mais pas cinéaste. Je lui ai demandé s’il avait un projet de fiction dans ses cartons. Il m’a répondu que Julien Poulin et lui avaient pensé faire un film avec un gros gars qui a un garage sur la Rive-Sud et qui trippe sur les États-Unis. Je me souviens que Gilles Groulx, qui était alors sur le jury de Télé-Québec, a défendu le projet. C’est grâce à lui que le film a pu se faire. S'il n’avait pas été là, il n’y aurait peut-être jamais eu d’Elvis Gratton. Je n’oublierai jamais ça... C’est grâce à ce premier court que le personnage et le film sont devenus culte. Le second a été difficile à financer. J'ai dû attendre longtemps. Le premier avait beaucoup frappé, ce qui m’avait donné un peu de ficelle pour aller chercher le financement du deuxième, mais j’ai quand même eu plusieurs refus avant que ça marche. Puis, il y a eu Le King des Kings. Pierre a vu vite en décidant de coller les trois courts ensemble, juste en enlevant les génériques de fin, mais sans rien réarranger d’autre. Le film a bien marché, mais comme les courts avaient déjà beaucoup circulé avant, il n’avait pas beaucoup d’écrans. On avait déjà bien exploité les deux-tiers de l’histoire! C’est drôle et réussi, et même si ce n’est pas un film esthétique, il demeure toujours aussi populaire et continue d’être souvent acheté au Québec.”

Le party (1991) - “Le party c’est le début de sa trilogie dramatique. C’est un film percutant, mordant... je m’ennuie de ces films-là. Pierre, à ce niveau, est irremplaçable. Je n’en ai jamais des propositions comme celle-là sur ma table.... jamais! Pierre avait une relation plus que fraternelle avec Francis Simard. Il faisait corps avec lui. C’est Francis qui a eu l’idée de ce film. La réalisation a été circonstancielle car Pierre Falardeau n’était pas une priorité à ce moment dans les plans  de Téléfilm Canada. Loin de là. Le scénario avait été même  jugé irrecevable dans une premier temps.  Trop vulgaire , irréaliste,  un tel party ne pouvait avoir eu lieu en prison. André Link et Christian Larouche nous ont appuyé en plus un autre projet est tombé nous laissant la place. C’est le plus beau tournage que j’ai connu... pratiquement tout en studio, dans un entrepôt proche du Vieux-Port. Jean-Baptiste Tard avait entièrement reconstruit le décor de la prison. C’est un film qui a aussi connu un vrai état de grâce. Il est encore très vu et va toujours rester. Richard Desjardins participe à la grâce du film puisqu’il a composé toute la musique du show donné en prison et joue lui-même un prisonnier où il chante le ‘screw ». Il a composé aussi pour le film « Le coeur est un oiseau" toune reprise amplement de nos jours par différents artistes. Je me souviens qu’on avait accusé Falardeau de démagogie... il prenait parti pour les détenus, sans entre-deux. C’est le point de vue des prisonniers et il est de leur bord.”

Octobre (1994) - “Falardeau a développé du film dans un atelier de l’ONF que Frappier avait monté. Mais le projet est tombé. J’ai été le voir chez lui et je lui ai dit que j’aimerais ça faire le film avec lui. Il y a toute une histoire avec celui-ci. La SODEC nous avait refusé. On a laissé passer plusieurs mois avant de repasser auprès de Téléfilm et l’ONF a accepté de mettre un petit montant dans le projet... pas une coproduction, mais une association. Donc on l’a fait avec un budget réduit. Et pour minimiser les coûts, Pierre faisait des huis-clos. Ça a aussi été tourné en studio, à l’Office, en dehors de quelques jours en extérieur. Avec leur parti-pris tranché, extrémiste même, Le party et Octobre, ne passeraient peut-être plus aujourd’hui.”

15 février 1839 (2001) - “Ses films n’ont jamais été faciles à financer. 15 février... on connait l’histoire! La SODEC nous a soutenu, mais pas Téléfilm. Il y a eu aussi la participation des citoyens, à coup de un, deux ou cinq dollars... Ce n’était pas un gros montant, mais cela montrait l’implication du public. Et là encore, comme nous avions des moyens limités, Falardeau a tourné en huis-clos. Il trouvait toujours des façons pour contourner les problèmes. “

Elvis Gratton : la vengeance d’Elvis Wong (2004) - “À ce moment-là, Pierre était très en colère, et ça se reflète dans le film. C’était un coup de poing ultime. Il y a quelque chose à régler avec Wong, parce que, malgré sa réception critique, je le revendique quand même. Il y a une charge, et quelques bons gags aussi. La charge, je l’assume même si Pierre peut paraitre extrêmement vulgaire, comme dans la finale où l’on voit exploser Elvis, plein de “marde”. Il fallait le faire quand même (rires) ! Pierre en avait assez. Il a été délinquant avec ce film-là. Il était très en colère et pour que Pierre mette cet épisode dans son film, c’est qu’il n’en pouvait plus.”

Lorsqu’on lui demande quel genre de cinéaste était Falardeau, la productrice n’hésite pas une seconde. “Sur un plateau, c’était quelqu’un de très gentil, de très attentionné avec son équipe, nous dit-elle. Il n’était pas gueulard, et savait reconnaître les compétences de son équipe. Il était très agréable à travailler. Sauf que quand on s’obstinait avec lui sur un sujet politique, il était intransigeant, teigneux même. Mais il n’était pas carriériste du tout! Il vivait dans de minuscules appartements du Centre-Sud et vivait de presque rien jusqu’à tard dans sa carrière. Pierre est un cinéaste qui a fait vibrer le Québec. Son oeuvre est toujours vivante et présente sur nos écrans.”

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