Avec Tenir tête, Mathieu Arsenault combat les préjugés
Jeudi, 21 mars 2019
Avec Tenir tête, le réalisateur Mathieu Arsenault propose un second long métrage documentaire après En cavale. À travers son film, le réalisateur souhaite faire partager au public les dessous de la maladie qui le tenaille depuis plusieurs années: la bipolarité affective. Ce documentaire réalisé à la première personne livre les précieux témoignages de Frédérique et Louis, deux autres malades qui ont réussi à s’en sortir, afin de mieux comprendre certains aspects de la folie et ainsi, combattre les préjugés qui sont encore là. Mathieu Arsenault nous aide donc à approcher avec un regard neuf ce sujet sensible et, par bien des aspects, encore tabou. Nous avons rencontré le réalisateur pour qu’il nous en dise plus long sur son film, qui sortira demain.
Dans Tenir tête, il y a un beau message, porteur d’espoir, qui s’adresse autant aux gens qui sont atteints qu'aux proches de ces personnes.
Oui, en effet, dans mon cas, si mes proches m’avaient laissé tomber, je ne me serai pas rétabli de la sorte. Par contre je sais que ce fut très difficile pour eux. Des fois, on n’a pas le choix de laisser la personne [malade, NDLR] à elle-même, parce que c’est trop difficile à gérer. La maladie nous rend complètement hors de contrôle. C’est l’amour qui arrive à sauver les choses. Dans mon cas, c’est le lien très fort que j’avais avec ma petite fille qui a réussi à vaincre la folie. s’il n’y avait pas eu cet attachement très fort, je serais sans doute resté en Californie enfermé dans ma maladie. C’est certain à 100%. Voilà ce qui a fait que j’ai pu réaliser que quelque chose n’allait pas en moi. Lorsque l’on est pris dans la maladie, on ne se rend absolument pas compte de la réalité.
Quel a été l’élément déclencheur qui t’as incité à faire un film de ton expérience?
Déjà, quand j’étais à l’hôpital psychiatrique, je savais que mon histoire pouvait devenir un film. C’est tellement une expérience sensorielle et spirituelle puissante que la réalité, le son… tout devient magnifié. Dans mon cas, j’étais en proie à des hallucinations sonores, entendre des voix. Donc c’est un univers très cinématographique. Aussi, lorsque l’on vit ce genre de choses, on veut tout de suite les partager aux autres. Ce que je n’avais pas encore dans ma chambre d’hôpital, c’est toute la phase de rétablissement, qui est venue après. Donc, même si je n’en étais qu’au début, je savais que je voulais en faire un film.
Pour servir d’exemple? Ou un film pour aider ton processus thérapeutique?
Surtout pour combattre les préjugés. Même moi j’en avais avant… je ne suis pas né bipolaire, c’est quelque chose qui m’est tombé dessus à 35 ans, et que je ne soupçonnais pas du tout. À l’hôpital, je me demandais si j’allais finir dans un asile, si ma vie était foutue. Ça m’a écoeuré tout ça! En plus, Psycho, Vol au dessus d’un nid de coucou… et d’autres ont beaucoup influencé l’image que l’on se fait de la maladie. Mais, en 2019, la réalité a beaucoup changé. Les médicaments ont tellement évolué qu’il est possible pour des gens comme moi de reprendre des activités normales à la maison… ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans. Donc, je voulais absolument témoigner de ce changement de réalité. Le problème majeur chez les gens atteints, c’est d’accepter la maladie et de suivre les traitements, ce que beaucoup refusent encore. Alors, oui Tenir tête peut aider en servant de modèle, mais ce n’était pas vraiment mon intention de base.
Comment s’est passé le processus de production du film, qui nécessite un scénario, un budget, une équipe, bref, une organisation très structurée. Comment te sentais-tu dans ce schéma?
Mon épisode de folie est arrivé il y a cinq ans, mais je n’ai commencé le film qu’il y a deux ans. Donc il y a quand même eu trois qui ont été consacrés uniquement à reprendre ma vie normale. C’est aussi ce qui arrive quand on est en dépression, notre estime de soi en prend un coup. Donc, il était impossible de partir dans ce projet en étant malade. Aussi, je ne savais même pas si j’avais encore les capacités intellectuelles pour le faire… Quand on vit la manie, on a le cerveau brûlé. Et plus l’on vit de crises, plus les capacités baissent. C'est pour cela qu'il est essentiel de prendre ses médicaments. Pour ne pas que ça dégénère. Dans mon cas, j’avais beaucoup de confiance à regagner pour entreprendre le film... En fait, je me suis beaucoup amusé en le faisant. Ça a vraiment été le fun! (rires) je suis retourné aux États-Unis, Frédérique et Louis sont devenus des amis. J’ai aussi reçu beaucoup de confiance de la part de ma productrice, Nathalie Barton, qui avait déjà produit En cavale. Quand on met un film au monde, c’est une idée très fragile… elle a su en déceler tout le potentiel. C’est quelqu’un que j’admire et qui m’a donné des ailes.
Comment s’est passé ta rencontre avec Frédérique et Louis, les deux autres protagonistes du film?
Je cherchais un ou une bipolaire qui avait arrêté ses médications pour voir ce que ça donnait. Des amis m’ont pointé vers Frédérique. Nous nous sommes donc rencontrés. Elle était encore très fragile, elle n’en avait jamais parlé à personne, et subitement elle avait devant elle une personne qui la comprenait. Dans le cas de Louis, je l’ai rencontré par l’entremise de la productrice de ma blonde (qui est scénariste, NDLR). Il est très attachant… Finalement, les recherches se sont faites très facilement. Frédérique et Louis ont été les deux premières personnes que j’ai contactées en préparation du tournage. Il y en a eu d’autres par la suite, mais qui ont été écartées. Ça a été un vrai coup de chance…
Entrevue réalisée par Charles-Henri Ramond, à Montréal, le 13 mars 2019.